Le temps se dérègle; la planète se réchauffe; les catastrophes naturelles sont en augmentation; les énergies fossiles tendent vers un épuisement inéluctable. Le Programme des Nations Unies pour le développement a évalué, en 2007 déjà, « qu’une augmentation de la température mondiale de 3 à 4° C pourrait provoquer le déplacement temporaire ou permanent de 330 millions de personnes. » Nous connaissons ces informations, nous les avons entendues à maintes reprises. Dès lors, pourquoi est-il si difficile de modifier les comportements en lien avec les problèmes environnementaux? Quels sont les blocages? Pourquoi est-il si compliqué de changer pour prendre soin de notre planète?
Allons chercher des réponses du côté d’un philosophe, d’une cinéaste et d’un psychologue …
Dominique Bourg est professeur à l’Université de Lausanne; grâce à la complémentarité de ses études en philosophie et en développement durable, il pose le constat suivant (dans une interview réalisée par DataGueule): ressentir les choses nous aide à en prendre conscience. Or, nos sens ne nous permettent pas de « percevoir » les difficultés liées à l’environnement. Même si nous savons que la moitié de la forêt amazonienne a disparu, nous respirons toujours de l’air; même si les poissons disparaissent, nous en trouvons toujours dans nos magasins. De surcroît, se pose une question essentielle: « si je n’étais pas né, cela ne changerait rien; donc, comment me sentir responsable? ».
A la sortie de son film « Solutions locales pour un désordre global » (en 2010), Coline Serreau a déjà compris que culpabiliser les personnes et les consommateurs ne sert à rien. Les informations moralisatrices n’atteignent pas leurs cibles; pire, si elles sont trop persistantes, les groupes cibles vont entrer en résistance contre les arguments. Pourquoi un tel phénomène?
Allons étudier le fonctionnement de notre cerveau…
Si l’on en croit un psychologue et un docteur en neurosciences que j’ai eu la chance de côtoyer lors d’un cours ayant pour thème « changer les comportements », le changement serait difficile, car il existe des processus biologiques dans notre cerveau qui échappent à la raison. Le fait de savoir des choses ne va pas forcément faire changer les choses. Certains facteurs de situation sont plus importants que les facteurs de connaissance. De plus, il existe des écarts importants entre nos intentions et nos comportements.
Les deux intervenants nous éclairent sur le fonctionnement de notre cerveau et nous donnent des pistes de réflexion (basées sur des études scientifiques) sur des principes qui peuvent faire changer les gens:
1/ L’effet normatif: c’est l’effet du groupe. L’être humain a un besoin primaire d’appartenir à un groupe. Quand un groupe a décidé d’exister et qu’il manifeste une volonté d’agir, il apporte à ses membres un soutien sans faille. Lorsqu’une personne fait partie d’un groupe qui milite pour des actions, en faveur du climat par exemple, son comportement va changer sans trop d’effort, car elle fera partie d’un groupe qui partage son système de valeur.
2/ L’engagement: il s’agit d’un processus qui entre en jeu dans le fait que plus on fait quelque chose, plus on aura tendance à répéter cette action. Plus on sera serviable, plus on aura tendance à l’être. Plus on agira en faveur du climat, plus nos actions nous sembleront naturelles.
3/ L’étiquetage est le « simple fait » de dire à la personne qui elle est et ce qu’elle est. L’exemple le plus flagrant est l’étape que vit un enfant vers une année et demie devant un miroir. L’enfant pense d’abord qu’il y a un autre enfant jusqu’à ce qu’une tierce personne lui dise que c’est lui. L’enfant prend donc conscience de qui il est. Nous avons besoin des mots d’un autre pour nous construire. L’effet est le même une fois adulte. Prenons un exemple: les poubelles publiques pourraient avoir la mention « vous, qui jetez vos déchets dans une poubelle, vous êtes une personne qui prend soin de la planète ». Une indication en définitive toute simple!
4/ Le contexte et l’environnement sont capital! Toutes les informations que nos sens enregistrent à notre insu sont gigantesques: les affiches, les devantures de magasin, l’environnement, les bâtiments, les autres personnes, notre lieu de vie, notre place de travail, les moyens de déplacement que nous utilisons… Tous ces éléments sont enregistrés dans notre cerveau et font partie de la construction de notre réalité.
Donc au final, au lieu d’attirer notre attention sur les points négatifs (le climat s’emballe, les catastrophes naturelles sont de plus en plus fréquentes, etc.) , il faut essayer de mettre l’accent sur les choses positives qui se mettent en place pour résoudre les problèmes. Et plus ces éléments positifs seront répétés, plus les consciences s’ouvriront et plus on tendra vers un changement de comportement.
Prenons un exemple concret: le parc national de Petrified Forest aux Etats-Unis
Les responsables ont constaté que le parc perdait une grande quantité de bois par année. Ils se sont rendus compte que certains visiteurs prenaient un « petit bout » de bois en guise de souvenirs. Dans un premier temps, ils ont affiché des informations disant que certains visiteurs prenaient des bouts de bois et que ces actions étaient dommageables pour le parc. Résultat: une augmentation des vols. Pourquoi? Si on regarde l’effet normatif du groupe, on constate que les individus se disent que si certains le font, pourquoi pas eux! Après avoir fait appel à une agence de communication, ils ont changé de discours. Et l’affiche disait cette fois que 97% des visiteurs étaient respectueux du parc. L’effet ne s’est pas fait attendre. Les vols de bois ont diminué! L’effet normatif du groupe a, cette fois, joué en faveur de la préservation de l’environnement.
Stratégie trop simple?
Alors, à ce stade, on peut penser que c’est trop simple, que l’individu a sa propre capacité de réflexion et qu’il est libre de prendre ses propres décisions. Néanmoins, au fil des études scientifiques, un constat s’impose: l’être humain reste un animal avec des caractéristiques spécifiques certes, mais également avec des fonctionnements innés qu’il est vraiment intéressants de comprendre pour faire changer les choses. Si le fait de voir le « verso » ou le positif peut nous faire mieux vivre ensemble sur cette planète, ça vaut le coup d’essayer.
Ce scénario est d’ailleurs à l’oeuvre dans le film « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent (sortie prévue en décembre en Suisse). Ils ont voulu montrer des personnes qui inventent le monde de demain en respectant les humains et la planète. Ils se sont concentrés sur « des solutions et des histoires qui font du bien ». Ils ont souhaité montrer le positif! Alors comme disait Gandhi: « montrer l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre … c’est la seule ».
Pour aller plus loin:
- DataGueule nous livre un excellent film: 2 degrés avant la fin du monde
- Tania Chytil nous propose une émission spéciale sur la RTS consacrée au climat: un bol d’oxygène
- Et pour finir avec un peu d’humour, Nicolas Hulot nous offre un spot sobre, efficace, à l’Américaine